Stéphane Couturier
Alger, Climat de France
15 10 2016 ... 15 01 2017

Stéphane Couturier s’attache aux développements urbains et aux métamorphoses des bâtiments. Avec élégance, le photographe réussit à mettre à nu les « tripes de la ville » ; ses vues, qu’elles soient réalisées à Paris, Berlin, La Havane ou Séoul, sont l’inextricable enchevêtrement d’un rendu hyperréaliste et de la dissolution de la forme. Conçu à partir de 2011, le projet « Climat de France » repose sur une figure de l’architecture des années 1950,  Fernand Pouillon, qui fut un des grands bâtisseurs des années de reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. A travers la photographie et la vidéo, Stéphane Couturier dissèque la plus grande cité d’Alger, édifiée au moment de la guerre d’Algérie, lieu d’affrontement entre GIA et pouvoir, et désormais place forte de tous les trafics.

Exposition réalisée grâce au mécénat de Marie et David Benmussa et au soutien de la Société Canson, de la Société des Amis du musée Nicéphore Niépce et du Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC Bourgogne Franche-Comté.

La ville est une mise en séquences, certes, mais elle est un bloc. Immeuble par immeuble, quartier par quartier, portrait par portrait, Alger semble indivisible. Les fragments conviennent parfaitement à l’idée de la ville.
On sait, on l’a assez répété, que l’idée et l’objet ne peuvent coïncider. Et pourtant, ici, Stéphane Couturier approche de la « vérité ». Il ne convoque pas nos sens mais il nous fait voir les matières. En recourant systématiquement à la bande-séquence, il se dégage d’une description uniquement matiériste. Sa photographie a l’ambition de rendre compte de cet événement par le nombre infini de circonstances qui l’accompagnent. Ce n’est pas en convoquant le hasard que le photographe nous conduit à entrevoir des morceaux de vivant. L’idée de la bande fragmentaire les relie, ou plutôt elle les rapporte à une forme de pensée qui leur confère un sens. La représentation précise des propriétés de ce qui est exposé incite le spectateur au commentaire. La méthode photographique est implacable.

N’y aurait-il donc de vérité que dans cette géométrie et dans la rigueur des lignes ? La connaissance des choses pourtant est inséparable de ces objets suspendus, courant le long d’interminables façades. Le périssable, l’histoire quotidienne des hommes, se joue du monument et de son essence. Le temps est la grande affaire de cette photographie ; à chaque image son lot de strates historiques. Le temps long s’affiche aux côtés d’une actualité toujours changeante. Les draps, les vêtements sèchent et les antennes paraboliques signalent la modernité. Hors du temps et dans l’instant, la photographie constate que rien ne précède rien.
[...]

On voit comment se constitue l’univers photographique de Stéphane Couturier. Croyant contempler une abondante documentation sur l’architecture ou simplement compulser un inventaire insensible, le spectateur que nous sommes contemple sa propre relation à l’ordre et au désordre. Toutes ces images, dans leur construction subtilement répétitives, sont l’écho de nos angoisses et de nos désirs. La photographie, dans des temps anciens, aimait définir le bien et le mal.
 Ici, la prise de position décrit l’impératif des choses et son antidote, le fluide. Dans ces photographies, on ne se heurte jamais au solide. La vie est évitement et retirement. 

François Cheval

Visite de l’exposition avec Stéphane Couturier, samedi 15 octobre / 15 h 30 suivie d’une séance de dédicaces.

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Climat de France, « une architecture sans mépris »

De sensibilité méditerranéenne et capable de produire des logements de qualité, en grande quantité et à faible coût, l’architecte Fernand Pouillon fut chargé au cours des années 1950 par le maire d’Alger de réaliser trois ensembles, dont Climat de France. Ils devaient contribuer à loger les populations musulmanes alors entassées dans des bidonvilles, réduire les tensions sociales et réaffirmer l’autorité de la métropole.
 Dominant le quartier populaire de Bab el-Oued et la vieille ville, tournée vers la mer, Climat de France était, avec près de 5000 logements, l’opération la plus importante. [...] L’immeuble principal s’organise autour d’une longue place de 233 x 38 m dont les façades sont scandées par des colonnes de pierre blanche qui confèrent à l’ensemble un caractère classique. Pouillon écrira : « [...] j’ai la certitude que cette architecture est sans mépris. Pour la première fois peut-être dans les temps modernes, nous avions installé des hommes dans un monument. Et ces hommes qui étaient les plus pauvres de l’Algérie pauvre, le comprirent. C’est eux qui baptisèrent la grande place “les 200 colonnes”. »
 Aujourd’hui, Climat de France est une cité surpeuplée, par endroits délabrée et insalubre. Les caves ont été transformées en chambres et le toit terrasse du bâtiment des 200 Colonnes, initialement un lieu de travail et de sociabilité pour les femmes, accueille désormais un bidonville. La place, qui concentre les trafics, est surnommée La Colombie et la police ne rentre plus dans la cité. Mais l’architecture de pierre a résisté à cette surpopulation bien mieux que ne l’aurait fait le béton.

Étienne Hatt
Journaliste – membre de la rédaction d’artpress

Publications :

Stéphane Couturier
Alger – Climat de France
Textes de François Cheval, Étienne Hatt
Arnaud Bizalion éditeur, Marseille, 2014
Format 23 x 32 cm, 76 pages
ISBN : 978-2-36980-023-1
30 €

Stéphane Couturier
Textes de François Cheval, Matthieu Poirier
Éditions Xavier Barral, Paris, 2016
Format 24 x 30 cm, 308 pages
ISBN : 978-2- 36511-111-9
39 €