Olivier Culmann

The Others

17 10 2015 ... 17 01 2016
Prolongée jusqu'au 20 01 2016

C'est une étrange galerie de portraits que nous propose Olivier Culmann. L’homme indien défile devant nos yeux, sans pour autant dévoiler son identité réelle…

Amorcée entre 2009 et 2011, années au cours desquelles Olivier Culmann vit à Delhi, puis poursuivie jusqu’en 2013, la série The Others  sera présentée pour la première fois dans son intégralité lors de cette exposition au musée Nicéphore Niépce. Avec plus de 130 œuvres, le photographe questionne l’élaboration du statut social à travers la construction de l’image de soi et explore les limites du médium photographique.

The Others  est un travail sur les codes sociétaux de l’Inde et leurs modes de représentation.
Le matériau de base du photographe est une série d’autoportraits. Olivier Culmann y applique sur lui-même les spécificités visuelles et vestimentaires définissant chaque indien. Dans une société aussi cloisonnée que celle de l’Inde, il s’agit de retranscrire la variété des éléments constituant l’identité de l’individu : religion, caste, classe sociale, profession, origine géographique…

Ces portraits se déclinent en quatre phases, selon les différents procédés de création iconographique pratiqués en Inde : photographie de studio de quartier, utilisation de Photoshop par les laboratoires numériques, peinture…

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Phase 1 : portraits en studio photographique
Les studios représentés dans ces photographies sont des studios de quartier issus de différentes villes d’Inde, notamment Delhi et les régions environnantes, Chennai, Pondichéry et Bombay.

 

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Phase 2 : portraits avec utilisation de matériels numériques

Dans les studios photographiques de quartier, il est habituel d’avoir un choix de fonds : rideaux à motifs, photographie murale ou paysages peints à même le mur. Lorsqu’un client vient se faire photographier, il peut généralement aussi emprunter divers vêtements (veste, chemise, cravate…) mis à  sa disposition le temps de la prise de vue.

Depuis l’arrivée du digital, des fonds sont créés virtuellement sur ordinateur. Le client, dont la silhouette est préalablement détourée, peut ainsi choisir le fond (fond de studio reconstitué, paysage de montagnes suisse, Taj Mahal…) devant lequel il souhaitera figurer sur la photographie commandée.

Les photographes proposent aussi des photos de corps sans tête, généralement plaisants et bien habillés, sur lesquels il ne reste qu’à déposer la tête du client, préalablement découpée puis replacée par le photographe/retoucheur numérique. Sont également à disposition des corps sans visage (la chevelure et les oreilles restent présents sur le document vendu), des couvre-chefs (chapeaux, bérets, turbans…), des chevelures, des accessoires divers (fauteuils, canapés, bouquets de fleurs…) ou encore des cadres à motifs.

Les portraits de la phase 2 associent ces matériaux numériques aux visages des portraits réalisés initialement.

 

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Phase 3 : recomposition et colorisation de photographies déchirées

La réfection de photographies de famille endommagées (par le temps, l’humidité, les déchirures…) est une pratique courante en Inde. Elle est notamment utilisée lors de décès pour restaurer une photographie emblématique du défunt. Celle-ci trône ensuite généralement sur le mur de la maison ou du commerce familiale. Garante de la filiation, sa portée symbolique semble plus importante que la reproduction fidèle des traits physiques de l’ancêtre.

S’appuyant sur cette pratique, Olivier Culmann a donné à différents laboratoires de retouche numérique la moitié d’une photographie déchirée. Il leur a ensuite demandé de reconstituer entièrement le visage, puis de le coloriser à leur convenance. Certains y ont ensuite ajouté un fond.

 

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Phase 4 : peintures réalisées à partir de photographies

L’utilisation de la peinture est courante en Inde, notamment pour la réalisation d’enseignes de certains commerces ou, plus traditionnellement, pour la réalisation d’affiches de films.

S’appuyant sur ce savoir-faire, Olivier Culmann a donné à un peintre de Delhi des tirages photographiques - en noir et blanc - et lui a demandé de les reproduire en utilisant différents styles (notamment issus de peintures d’affiches de films). Comme pour les recompositions d’images, il l’a laissé libre dans l’interprétation des couleurs et du fond.

Lors de l’exposition, les toiles originales réalisées par ce peintre seront présentées.

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Olivier Culmann

The Others

Exposition co-produite avec Tendance Floue et Central Dupon Images.
Avec l’aide de Canson, d’Olympus France, de La Souris sur le gâteau et de l’hôtel St Georges à Chalon-sur-Saône.
Tous les tirages de l’exposition ont été réalisés sur du papier Canson lustré premium 310g par le laboratoire du musée Nicéphore Niépce.

Elle est accompagnée d’un ouvrage à paraître aux éditions Xavier Barral.

The Others
Olivier Culmann
Editions Xavier Barral
Relié, toile
21,5 x 26,3 cm
196 pages
Environ 140 photographies couleur

Textes : Christopher Pinney, professeur d’anthropologie et de culture visuelle à l’University College de Londres, François Cheval, Directeur du musée Nicéphore Niépce et Christian Caujolle, Professeur associé à l'Ecole Nationale Supérieure Louis Lumiere , critique, commissaire d'exposition indépendant.

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Extraits :

Se vêtir n’est plus, depuis des temps immémoriaux, une nécessité fonctionnelle du genre humain. L’acte s’est métamorphosé en un jeu de conventions sociales. Les apparences décident, pour ne pas dire configurent le réel. Et ces vies fictives qui défilent dans le studio d’un quartier de New Delhi ne sont en rien plus illusoires que les pseudo-images « réelles » qui les ont précédées. Devant ces décors dressés, les seuls objets « incontestables », on redécouvre la consistance de la vraisemblance. En jouant à faire semblant, le photographe exhume le poids du destin qui nous recouvre. Les formes, les couleurs et les textures sont autant de signaux adressés à nos semblables ; dont nous voulons nous différencier ! En face de ce qui semble inéluctable, nous endossons les frusques et adoptons l’attitude que d’autres ont déterminée à notre place.

Chaque photographie, ou plutôt chaque scène, est un événement à la fois dérisoire et d’une grande justesse. Les portraits composent un recueil de nouvelles. Ils n’ont pas la prétention de réduire les différentes composantes de la population indienne à une farce, juste bonne à refléter l’esprit du temps. A la lumière crue du studio, ces vies reconstituées s’élèvent au-dessus de ce réel jamais reconnaissable, à jamais inintelligible. Sachant que nous sommes renseignés sur l’état du monde, plutôt que de recourir au même récit photographique sur le sous-continent indien, Olivier Culmann nous fait grâce de ses impressions fugitives. Délivré des leçons des anciens, il installe ses portraits-prototypes comme des notations, mieux même comme des récits. Les divers éléments de l’image sont des indices à interpréter et à rapprocher d’autres dans l’espoir que le spectateur puisse disposer d’un tissu d’hypothèses. Les objets, apparemment hétéroclites, les postures et les situations forment une chaîne logique à reconstituer.

[…]

Ce que l’on présente au regard d’autrui est un idéal de la figure fantasmée, le sceau de l’identité. L’identification est ici pourtant inséparable de la dissimulation. Le maquillage et les attitudes corporelles de l’acteur redéfinissent la visibilité du personnage. Le sujet, ou la personne, n’est en rien un être « naturel ». Dans cet aller-retour permanent entre normes et recherche d’une identité propre, la personne tente de se constituer en une unité qu’il souhaite cohérente. Cette sommation à l’originalité le pousse à contempler son propre reflet. Dorénavant le miroir est son tirage numérique. Il y cherche sans relâche, comme dans un jeu des sept erreurs, les signes défaillants. Il gomme les imperfections ou s’adjoint des éléments rassurants. L’anxiété règne dans cet univers irréel. On y traque les imperfections allant à l’encontre de l’image de soi tant désirée. Ce souci des apparences, encouragé délibérément par la marchandise, s’oppose à la conscience de soi, à la singularité et à l’autonomie. L'attention particulière que l'on porte à sa personne est soutenue par les technologies modernes. L’identité numérique se construit dans les espaces de communication où chacun se contemple, de manière narcissique, dans un enfermement intérieur. La relation à autrui sera une quête jamais satisfaite. Et la photographie, malgré son immense ambition, n’y pourra rien.

[…]

Deux extraits du texte de François Cheval publié dans The Others.

Olivier Culmann : Biographie

Le conditionnement social et le libre-arbitre habitent l’œuvre d’Olivier Culmann. À cheval entre l’absurde et le dérisoire, son œuvre analyse avec une acuité millimétrée la question de nos vies quotidiennes et de nos rapports avec les images. Revenant sans relâche sur ses obsessions – et les nôtres –, il nous emporte par son humour et son art de la narration.

1993 – 1999 :  Il réalise, en collaboration avec Mat Jacob, le projet Les Mondes de l’école  qui obtient la bourse de la Villa Médicis Hors Les Murs en 1997

2001 : Parution de Les Mondes de l’école , éditions Marval
 Parution de Une vie de poulet , éditions Filigranes

2003 : Prix Scam Roger Pic  pour sa série « Autour, New York 2001 – 2002 »

2004 : Parution de Intouchables , éditions Atlantica

2006 : La série « Watching TV » présentée aux Rencontres internationales de la photographie d’Arles

2008 : Exposition de la série « Les Mondes de l’école » à la Tour Eiffel à Paris.
 3e  prix World Press Photo pour sa série « Watching TV » (catégorie « sujets contemporains »)

2011 : Parution de Watching TV , éditions Textuel
 Exposition « Watchers » au Pavillon Carré de Baudouin à Paris

2014 : Expositions The Others et Diversions  au Festival Images à Vevey en Suisse

2015 : Exposition The Others au musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône
 Parution de The Others , éditions Xavier Barral