Tous azimuts

13 06 2015 ... 21 05 2016

Comprendre le photographique. Par cette volonté affichée, le musée Nicéphore Niépce s’affirme plus que jamais comme le musée de la photographie dans toutes ces acceptions. Il met en avant l’unité de la photographie qui, depuis le geste initial de Nicéphore Niépce ne peut se réduire à l’art et à la technique, ou à l’articulation des deux disciplines. Partial dans ses choix, il ne prétend pas à l’exhaustivité et privilégie la relation pédagogique entre l’objet photographique et le spectateur.
« Tous azimuts » présente des acquisitions récentes et inédites. Fruits d’achats et de nombreuses donations, celles-ci viennent à propos rappeler la vocation du musée à rassembler, conserver et diffuser.

Objet protéiforme, la photographie s’expose aux murs, s’insère dans le livre et se déploie dans le magazine. Elle s’affiche impudiquement dans les albums de famille.
Percevoir la photographie dans sa cohérence, et tenter de reconstruire l’archive photographique dans sa globalité, c’est renouer les relations qu’elle entretient avec nos obsessions, nos désirs et nos perversités ; au risque de dresser le panorama halluciné de la fascination de l’humanité pour ce médium.

Objet de promotion


Le pouvoir de démonstration de la photographie en fait dès la fin du 19e  siècle un objet de promotion. Mais c’est surtout dans l’entre-deux-guerres que la photographie permet de dépasser l’ancienne réclame fondée sur le texte et le dessin. Vantant les mérites d’un produit, d’une marque ou d’une enseigne commerciale, elle s’affiche sur tout type de support : affiche, catalogue, calendrier, porte-courrier… L’impact de l’image est immédiat ; celle-ci est censée garantir la véracité du message. A l’époque, l’image publicitaire récupère et adapte les expériences plastiques des avant-gardes : photomontages, utilisation de la typographie, de la couleur. Il n’est d’ailleurs pas anodin de remarquer que les plus grands photographes ont travaillé pour la publicité.

 
 

En période de guerre


La photographie en période de guerre revêt de multiples aspects. Sa caractéristique principale depuis 1914 est avant tout d’être contrôlée pour être diffusée dans la presse à des fins de propagande. L’image est retouchée, les scènes sont reconstituées a posteriori . La photo devient une arme de persuasion pour rassurer la population (elle ne montre rien) et terroriser l’ennemi (elle le montre décimé). Les régimes totalitaires y ajoutent le culte du chef en inondant les territoires conquis de milliers de portraits solennels et intimidants. Restent les albums souvenirs de soldats, dont les prises de vue étaient toutefois elles-mêmes très encadrées.

La mission du photoreportage, à compter des années 1930, sera de montrer l’envers du décor, ce qui est caché, incarnant la conscience dénonciatrice, celle qui contribuera à changer les choses – en vain. La représentation de l’horreur n’a jamais empêché celle-ci d’exister. Cette horreur peut aussi n’être qu’évoquée à travers la métaphore, la transposition, comme le fait Laurence Leblanc en photographiant en gros plan les figurines de pâte à modeler d’un film de Rithy Panh sur le génocide khmer. Alexis Cordesse recueille lui les témoignages des anciens bourreaux du génocide rwandais qu’il accole à leurs portraits volontairement banalisé. L’image n’est plus une preuve immédiate mais un témoignage pour la mémoire. L’effet n’en est pas moins fort, voire sidérant.

 
 
 
 

Identifier


La photographie quantifie et mesure ; elle permet de reconnaître, identifier. Elle devient ainsi à la fin du 19e siècle l’auxiliaire précieux de la police. Les portraits commencent à nourrir les dossiers des condamnés et les premières fiches pour répondre à l’obsession de la récidive.
Bertillon met en place le fichier anthropométrique qui s’appuie sur l’image et différentes mesures du corps humain. La méthode est appliquée à des catégories d’individus toujours plus vastes, stigmatisées comme dangereuses ou potentiellement menaçantes : anarchistes, nomades, opposant politiques notamment dans les colonies… En France, les premières cartes d’identité avec photographie sont créées dans les années 1890. Cartes d’identité pour les étrangers, les Français, les fonctionnaires, cartes de travailleurs, visa de sortie, de transit, permis de séjour, Ausweis sous l’Occupation… l’administration recense, répertorie, renseigne, surveille.

 
 
 
 
 

Années 1930


Au début des années 30, la photographie s’avance dans l’expérimentation. Elle fait don à la modernité d’un répertoire élargi de formes, de scènes, d’attitudes neuves et fondatrices. Selon le sens d’une évolution artistique, sociale et politique vers la transformation complète du monde, la « Nouvelle Vision » des photographes n’envisage le visible qu’au travers de la géométrie des corps, des matériaux usinés et de la beauté de la machine. Dans la description des corps modernes, dans la photo d’une architecture révolutionnaire, dans la scénographie du portrait, le photographe dégage les images de tout superflu. A présent, nous regardons, admiratifs, l’œuvre commune de la « Nouvelle Vision », qui doit tout aux immigrés allemands et hongrois, aux proscrits, juifs, femmes, communistes, qui ont fait la photographie française et de Paris, le creuset de la rénovation du médium.

 
 

Le nu


Au 19e siècle, la photographie perpétue la tradition du nu artistique tel qu’il se pratique dans les beaux-arts. Le corps est traité comme une académie, une étude. La pudeur reste de mise, qui n’empêche pas, malgré la censure, la prolifération de vues érotiques qui font du nu, dès l’origine, la première économie de la photographie. Dès les années 1920, les photographes mettent en avant les qualités plastiques du nu, accompagnant un mouvement général de libération du corps. Celui-ci est photographié en gros plan, fragmenté, épuré ; il devient un pur objet esthétique sculpté par la lumière. Parallèlement, un type de photographie érotique et kitsch continue de circuler sous le manteau (Horace Roye). Aujourd’hui, libérée de la censure, la photographie a évacué les critères de beauté traditionnels et met sur le même plan corps, visage et sexe.

 

Voir au-delà


La précision de la photographie, vantée dès l’origine, permet de voir au-delà de notre champ de perception. La plaque photographique offre un grand pouvoir de détection ; tout point lumineux peut être capté pourvu que l’intensité ou le temps de pose soient suffisants. C’est ainsi que la photographie a certifié l’existence de certains astres, conjecturée jusque-là uniquement par le calcul. C’est aussi avec une plaque photographique que Röntgen mit en évidence les rayons X en 1895. Utile au progrès de la science, la photographie permet l’observation précise, l’accumulation de détails permettant l’étude et l’identification. Quantité de disciplines médicales s’en emparent, comme la psychiatrie. La photographie est l’instrument devenu indispensable à la démonstration. De là à affirmer qu’elle est une preuve, il n’y a qu’un pas, franchi notamment par certains « spirites » peu scrupuleux…

 
 

L'imprimé


C’est par l’imprimé que la photographie s’est imposée. D’illustrative dans les journaux du début du 20e siècle, elle fait imploser le magazine traditionnel au lendemain de la Première Guerre mondiale, en faisant du photographe l’acteur principal de la modernité. Le photographe devient reporter. Le monde désormais se voit avec son regard subjectif. La rotogravure va tout modifier et émanciper le photographe du texte. Chaque semaine, le lecteur se voit proposer non plus une simple illustration du monde, mais le monde lui-même. L’image n’est plus seule, elle s’insère dans une série. La double page apostrophe le regard du lecteur. La culture visuelle est née. Ces revues offrent aux photographes une visibilité et aussi leurs premières critiques.

 

Soutien à la création photographique actuelle


Le soutien du musée à la création photographique actuelle prend différentes formes : acquisitions  auprès des photographes et des galeries, aide à un projet ou à une édition ou encore accueil en résidence. Cette dernière permet au photographe de concevoir et matérialiser un projet artistique tout en bénéficiant du savoir-faire du laboratoire photographique du musée pour les tirages. Virginie Marnat-Leempoels peut explorer à loisir les stéréotypes féminins, comme ici celui de la riche américaine trônant dans un intérieur qui dévoile tout de sa classe sociale. Aux antipodes, Jake Verzosa dresse le portrait des dernières femmes tatouées de la tribu des Kalingas aux Philippines. Marion Gronier tente de capter le sentiment d’abandon marquant les artistes de cirque qui passent des lumières de la piste à l’anonymat de leurs loges de fortune. Stan Guigui raconte la misère et la violence du Cartucho, la cour des miracles de Bogota, ou s’invite dans la communauté folklorique des Mariachis… La photographie est universelle ; et c’est une pluralité de regards qui nous est offerte ici.

 
 
 
 

André Mérian : Water Front
Dans le cadre d’une commande passée par « Marseille Provence capitale européenne de la culture », André Mérian a photographié les ports du bassin méditerranéens, interrogeant une urbanisation sans scrupules, fruit de la spéculation foncière. Il ne peut être question de banalité quand pour la première fois dans l’histoire des temps géologiques, des transformations de cette importance sont apportées à la structure du paysage. Pour le photographe qui choisit de représenter les paysages réels, il y a plus de tristesse à dire ce monde qu’à louer la beauté des points de vue. Dans la tradition d’un Marville ou d’un Atget, il enregistre le passage d’un monde à un autre, nous signifiant la fin d’un mythe.