Alexis Cordesse
Présences
15.10.2021 ... 16.01.2022
Inauguration : jeudi 14 octobre à 19h

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Les flux et les réseaux ont banalisé la photographie d’information. Grâce aux nouvelles technologies, nous sommes tous devenus des témoins et des producteurs potentiels d’images. Ces contenus, diffusés dans l’instant, créent l’illusion d’une hypervisibilité du monde orchestrée par des grands réseaux médiatiques qui imposent le règne de l’urgence et de l’immédiateté. On zappe plus que l’on ne regarde tant il y a d’images en circulation. Le nombre et les flux finissent par assigner à toutes ces images aussitôt vues aussitôt oubliées la même valeur. Cette accélération du temps et cet asservissement au présent laissent peu de place à l’analyse ou au reportage au long cours qui impliquent le temps de la réflexion et le travail dans la durée.

 Né en 1971, Alexis Cordesse débute sa carrière en 1990 comme assistant de Gianni Giansanti, puis comme stagiaire au sein de l’agence Sygma. L’année suivante, il réalise ses premières photographies en Irak, à la fin de la première Guerre du Golfe, cette guerre « sans images » qui va faire basculer l’information dans l’ère du soupçon. Ses références sont celles du photojournalisme, mais il se trouve rapidement confronté aux limites de la photographie de presse. L’editing est conditionné par le format et la demande des magazines qui considèrent de plus en plus les photographes comme de simples illustrateurs. Déjà ébranlés par la concurrence de la télévision depuis le début des années 1970, les journaux d’information subissent les effets de la crise économique de la fin des années 1990. Le phénomène s’accélérera avec l’avènement d’Internet.
La démarche de Cordesse bascule à l’occasion d’un reportage à Kaboul, en 1995. À côté des clichés attendus, il capte des sons, change ses points de vue, puis se lance dans la réalisation de films avec ses photographies. Dès lors, son regard ne va cesser d’évoluer. Revisitant les différents genres (le portrait, le panoramique, le paysage), il interroge la responsabilité des images photographiques et leur potentiel d’imaginaire. Il réinvente une durée et une distance, crée d’innombrables décentrages, impose ses exigences et ses choix, associe à son travail avec l’image un travail avec les mots : la photographie est devenue un outil parmi d’autres pour rendre compte de la complexité du monde. Ainsi parvient-il à forger sa propre éthique du témoignage.
 
L’exposition au musée proposera une rétrospective des travaux d’Alexis Cordesse et reviendra sur dix ensembles, dont certains présentés pour la première fois au public.
 
Kaboul, de guerre lasse
1995
Dans la capitale afghane en proie aux combats qui opposent des milices rivales, Alexis Cordesse alterne prises de sons et prises de vues, entre images d’action et images contemplatives. Premier pas de côté par rapport à sa pratique du reportage, cette expérience le conduira à réaliser une série de courts métrages à partir de ce travail photographique et sonore.
 
Itsembatsemba
1996
L’Aveu
2004
Absences
2013
En l’espace de dix-huit ans, Alexis Cordesse réalise trois séries à propos du génocide des Tutsi du Rwanda. Conscient des limites de la photographie à rendre compte par elle-même d’un drame dont la complexité et la radicalité semblent dépasser – excéder – toute tentative d’enregistrement et de représentation, il pense l’image avec ses manques, explore des archives, réalise de nombreux entretiens qu’il intègre à sa démarche photographique.
 
Dans Itsembatsemba , AlexisCordesse photographie « l’après génocide » : exhumations, commémorations, rescapés dans des hôpitaux psychiatriques. La combinaison de ces clichés avec des extraits des enregistrements de la Radio-Télévision libre des Mille Collines (RTLM), l’outil de propagande et de dénonciation au service des génocidaires, donne un autre sens aux photographies. Les mots et les voix viennent contaminer et complexifier les représentations visuelles de l’horreur pour nous rappeler que toute entreprise d’extermination, avant d’être un acte, est une idée, une parole, nées d’une conscience humaine.
 
Avec L’Aveu , Cordesse photographie des génocidaires selon un protocole strict : fond sobre, éclairage neutre, prise de vue frontale et en couleurs. Ses portraits sont accompagnés en miroir d’extraits d’entretiens qu’il a réalisés de ces personnes. Pour lui, un génocide est un crime inhumain commis par des humains. Il considère ces génocidaires comme « nos semblables » pour reprendre les mots de Georges Bataille ; ses portraits s’attachent à révéler l’ambivalence et la complexité de ces personnes, sans formuler de jugement moral. Refusant tout effet dramatique, il travaille à hauteur d’homme, fait varier sa valeur de cadre et ne cesse de s’interroger, de nous interroger : à quelle distance regarder ces hommes et ces femmes ?
 
 La trilogie s’achève avec une série réalisée dix-neuf ans après les faits. Jouant sur le vieux cliché colonial qui fit du Rwanda « un éden aux mille collines », les paysages rwandais d’Absences , vierges de toute présence humaine, dévoilent une nature luxuriante qui invite à la contemplation. Plus aucune trace des événements n’est perceptible, si ce n’est une liste incomplète de noms des victimes sur le mur d’un mémorial, une scène de commémoration prise de loin et les voix de trois femmes, deux rescapées et une juste, témoins sans visage, qui racontent ce qu’elles ont vécu dans ces lieux à l’apparente quiétude.
 
Borderlines
2009-2011
Avec Borderlines , Cordesse revisite un classique de l’histoire de la photographie – le panoramique – à l’aide des outils numériques contemporains. Il aborde la question de la frontière dans une région du monde, la Terre sainte, saturée de stéréotypes médiatiques et théâtre d’une actualité permanente. Son projet est porteur d’une double ambition : témoigner de la fragmentation d’un territoire où tout est séparation, utiliser l’image photographique sous sa forme composite afin de réaliser des mises en scène qui brouillent la limite entre description et fiction.
 
Talashi
2018-2020
Présenté pour la première fois à l’occasion de cette rétrospective, Talashi est un travail de réappropriation réalisé à partir de photographies personnelles que des exilés syriens, rencontrés en Europe et en Turquie, ont bien voulu confier au photographe. Ce travail s’inscrit à la croisée de l’intime et de l’Histoire. Les images vernaculaires choisies par Cordesse ont quelque chose qui nous est familier. Inscrites dans le hors-champs des images d’actualité, leur pouvoir d’évocation permet d’imaginer avec empathie la vie de ces gens ordinaires bouleversée par des événements extraordinaires.
 
Olympe
2015-2016
« Tu devrais gravir l’Olympe » lui avait suggéré un ami grec. Cordesse était venu en Grèce pour un projet sur le paysage politique dans une région que la météo rendait soudain inaccessible. L’ascension du mythique domaine des dieux, dont il ignorait jusque-là l’existence géographique, vint inopinément s’y substituer. Gravir les hautes roches fait appel au physique et active les sens. L’ascension, non pas mystique, mais corporelle, plonge l’homme dans un état mental particulier. Six fois il l’entreprit, renouant à chaque occasion avec une même sensation d’extrême présence au monde. De cette expérience imprévue, qui déjouait tous les protocoles établis, des images sont nées que le photographe a associées, dans un second temps, avec d’autres images, saisies de moments de sa vie quotidienne. Série méditative et poétique, Olympe  est un assemblage complexe réalisé hors de toute logique documentaire pour créer des jeux d’échos secrets. À côté de ces séries réalisées dans le hors-champ des images d’actualité, Alexis Cordesse s’impose comme un grand portraitiste. L’exposition présentera deux séries emblématiques de son approche du portrait et permettra de découvrir un travail inédit. Dans ces trois ensembles, c’est le temps long, année après année, la répétition des instants partagés qui instaurent une forme de confiance et de complicité avec les sujets.
 
La Bruja
1999-2001
Dix années à travailler dans des zones de conflits ont conduit le photographe à se retirer à Cuba. Installé à La Havane, il découvre, lors d’un voyage le long de la côte orientale de l’île, le village de La Bruja . Situé aux pieds de la Sierra Maestra, le lieu est particulièrement isolé et reculé. Il lui faut parfois plusieurs jours pour y accéder. Lela, qui habite la seule maison en dur du village, l’héberge. Pour la remercier, il réalise son portrait au Polaroid. Ce premier cliché en entraîne d’autres. Vêtus de leurs plus beaux habits, les habitants viennent à lui. Pendant trois ans, Alexis Cordesse y retourne régulièrement et se transforme en photographe de village.
 
La Piscine
2003
Été 2003, le stade nautique de Châtillon-Malakoff dans la banlieue sud de Paris, un studio en plein air à proximité du bassin. Cette piscine, Alexis Cordesse la fréquente depuis son enfance ; elle attire une population hétérogène venant de toute l’Île-de-France. Le photographe réalise des portraits posés, plans rapprochés, fond neutre légèrement bleuté, mélange d’éclairages, artificiel et naturel, subtilement maîtrisé et, pour la première fois, utilise la couleur. On pourrait penser que sans les artifices vestimentaires, les différences sociales, religieuses ou économiques seraient abolies. Il n’en est rien. Ainsi dévoilés, les corps parlent. Dans ses images, le photographe célèbre la présence au monde de chacun et sa beauté singulière.
 
Juliette
2016-2020
Alexis Cordesse se rend régulièrement dans un village de Bretagne. Comme à Cuba, il y photographie les habitants, en respectant les mêmes termes de l’échange : de la présence contre des images. En voisine, Juliette vient régulièrement assister aux séances de prise de vue. Elle accepte volontiers de poser pour lui. L’expérience va se renouveler à de multiples occasions. Cordesse ne cache pas sa tendresse et sa fascination pour ce modèle tragi-comique qui, à l’image des « têtes de caractère » sculptées par Messerschmidt, déploie une expressivité sans fard. Trois séries de portraits attestent de la relation qui s’est nouée au cours des années entre le photographe et son modèle.

Édition :
Alexis Cordesse,
Talashi
Atelier EXB,
Éditions Xavier Barral
Bilingue français-anglais,
broché,
16,5 x 23,5 cm
128 pages
55 photographies couleur
35 euros
ISBN : 978-2-36511-318-2