L'invention de la photographie au 19e siècle est représentative de la foi dans le progrès qui anime l'époque. Cette image mécanique, reproductible à l'infini, allait résoudre, d'une façon que l'on croyait objective, le problème de représentation de la réalité.

L’œil mécanique 

Le 19e siècle a vu dans la mécanisation de l’image le moyen d’accroître l’efficacité de la représentation et d’apporter ainsi l’explication ultime à toute chose. L’appareil photographique allait permettre de voir plus et mieux : photographies microscopiques, aériennes, satellitaires, radiographie, images 3D… L’homme augmentait ainsi ses capacités visuelles. Il comprenait mieux l’univers et pouvait donc accroître son pouvoir sur lui.
Engagé dès lors dans une course au progrès permanente, l’appareil a désormais acquis son autonomie. Il peut aujourd’hui se déclencher sur un simple sourire ou un mouvement. La technologie produit l’image attendue, nous dépossédant de la maîtrise d’une fabrication devenue trop complexe. 

 
 

Les maîtres du temps ? 

La quête de l’instantanéité de l’image est une constante depuis l’invention de la photographie. Le progrès des techniques, l’apparition du gélatino-bromure d’argent, ont permis toujours plus de rapidité dans la prise de vue et dans la découverte du résultat : l’image photographique.
Abolir le temps entre le déclenchement de l’appareil et la vision de l’image produite a été l’objectif, quasi utopique, poursuivi et finalement atteint avec la technologie numérique. La diffusion instantanée de l’image dans l’espace est l’autre but affiché dès l’invention du bélinographe, et aujourd’hui concrétisée par le biais d’internet ou du smartphone. 

La photographie répond ainsi à un fantasme universel de maîtrise du temps et de l’espace et à travers elle, de la diffusion d’un savoir universel. Désormais la simultanéité entre l’évènement, sa captation, sa diffusion et sa réception est la norme. Cette immédiateté est un leurre. Confrontés à un flux continu d’images "informatives", nous vivons en direct les évènements du monde entier sans pour autant les comprendre.

Réinventer sa vie / Second Life

Loin de l’objectivité qu’on lui a d’abord assignée, la photographie est l’instrument parfait pour créer un monde parallèle à la réalité. Mise au service de l’ego, elle offre la possibilité de se mettre en scène, d’atténuer un physique ingrat, de réinventer sa vie. Encadrée, insérée dans un album, affichée sur un profil internet, elle reflète ce que l’on veut bien montrer, ce que l’on croit être bien. Le revers de cet idéal réalisé se traduit par une autocensure, et au final par une uniformisation des images, une répétition de stéréotypes à laquelle on pensait échapper.

Au-delà de cette capacité à modifier le rendu de la réalité, la photographie a également le pouvoir d’influer sur nos sens et nos envies : images érotiques, scènes de crimes… Elle devient l’instrument privilégié de nos fantasmes, propre à assouvir nos pulsions, répondant à un voyeurisme universel.

 

Une encyclopédie trompeuse 

Dès l’origine, la photographie est perçue comme l’outil idéal de diffusion planétaire de la connaissance. La facilité à reproduire cette image mécanique incite à croire que tout photographier permettra une connaissance globale et exhaustive du monde. Mais l’accumulation des images n’y fait rien. Elle donne à voir sans offrir les clés de la compréhension. Parfois, pour certaines photos devenues des icônes, elle peut même confiner à l’idolâtrie, au passionnel, laissant de côté toute pensée critique vis-à-vis du sujet représenté.

Cette utopie d’un accès de tous à un savoir universel, en dépit d’une diffusion de masse des images dès le 19e siècle et plus encore aujourd’hui avec internet, reste de plus conditionnée à la capacité économique, intellectuelle et sociale de chacun.