Le travail de Raphaël Dallaporta (né en 1980) porte sur la fragilité de la vie aussi bien que sur une analyse des perversités de la société. Le travail subtil, intrigant, de ce jeune photographe fait appel à la sensibilité et à la curiosité du spectateur.
L’exposition "Observation" rend compte de la richesse d’une œuvre qui n’hésite pas à traiter les objets chargés de sens comme de simples objets industriels. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce détachement, cette fausse objectivité n’est là que pour montrer les limites de la photographie et ses dérives esthétisantes. Cette première exposition personnelle de l’artiste dans un musée français présentera les séries photographiques "Antipersonnel", "Esclavage domestique", "Fragile" et "Ruine".
La démarche atypique de Raphaël Dallaporta place ses photographies à la frontière de l’art conceptuel et de l’image documentaire. A l’opposé de l’artiste solitaire, il aime s’adjoindre la collaboration de professionnels lui permettant de pénétrer des univers inconnus ou interdits. Chacune de ses séries est le résultat d’un travail mené en commun avec, tour à tour, des militaires du génie d’Angers, des juristes, un professeur de l’institut médico-légal de Garches, ou des archéologues… Chaque image est conçue suivant un protocole rigoureux de prise de vue, alliant frontalité et neutralité, et concourant à décontextualiser l’objet représenté.
Antipersonnel, 2004
Des objets inconnus semblent émerger de l’obscurité. La légende nous renseigne vite ; il s’agit de mines antipersonnel. Raphaël Dallaporta s’en tient au seul objet, reproduit à l’échelle 1, et nous laisse libres d’imaginer les conséquences de son existence. Aucune image sanguinolente ne vient illustrer, tel un reportage, les mutilations provoquées par ces engins. Le photographe nous présente des natures mortes contemporaines à l’allure inoffensive, que la technique photographique tend à esthétiser pour mieux en taire l’usage.
Esclavage Domestique, 2006
Des images froides et distantes de façades d’immeubles sont associées à des textes. Ces récits écrits par Ondine Millot, décrivent les faits qui se sont produits à l’adresse exacte des habitations photographiées. Le spectateur comprend alors que cette série de photographies s’intéresse à une conséquence souvent ignorée du trafic d’êtres humains : l’esclavage moderne. Les images nous incitent à appréhender les réalités dérangeantes que peut cacher l’ordinaire des façades. La dénonciation entreprise par Raphaël Dallaporta de ces situations insupportables où une personne réduit l’autre à l’état de chose, tire sa profondeur de la distance que conservent ses photographies et de son refus de verser dans le sensationnalisme.
Fragile, 2010
A la manière de planches encyclopédiques destinées à un cours d’anatomie universitaire, Raphaël Dallaporta photographie des organes. La légende une fois encore vient expliquer l’origine de ces images muettes. L’objet principal n’est finalement pas l’organe représenté mais la raison de sa présence dans une salle d’autopsie. L’apparente neutralité de la prise de vue, issue d’un protocole strict (vue frontale, arrière plan noir permettant un éclairage dense du "sujet"), isole chaque fragment de corps en tant qu’indice permettant de déterminer la cause de la mort. Ces reliques de chair et d’os ont une valeur concrète d’identification. Mais ainsi photographiées, elles possèdent en outre une dimension métaphysique et philosophique en rappelant le caractère éphémère de la vie et la vulnérabilité humaine.
Ruine (Saison 1), 2011
Durant l’automne 2010, Raphaël Dallaporta prend part à une mission archéologique dans la région de Bactriane en Afghanistan, lieu de conquête mythique d’Alexandre le Grand. A l’aide d’un drone conçu par ses soins, il réalise dans ce pays en guerre des photographies aériennes de sites archéologiques en grand péril ou inconnus jusqu’alors. L’appareil télécommandé est réglé pour prendre un cliché toutes les cinq secondes, cliché d’une précision sans équivalent. La modélisation des images assemblées, leurs contours volontairement asymétriques mettent en valeur des monuments et des lieux inaccessibles. La technologie la plus pointue se met au service de thèmes chers à l’artiste - la destruction, la précarité des choses. Elle rend visible ce qui a été et qui n’est plus. Et n’est-ce pas la définition même de toute photographie ?
Tout le travail de Raphaël Dallaporta aboutit ainsi à un constat : la photographie ne dit rien, elle enregistre une forme et documente l’invisible. Médium moderne des traditionnelles vanités, elle permet d’évoquer avec subtilité la fragilité de toute chose, la violence et les vices de la société contemporaine.
Exposition réalisée en collaboration avec le centre d’art et de recherche Gwin Zegal.