Le lien unissant la photographie au cinéma n’est plus à démontrer. Le film se nourrit de la photographie. Progrès ultime appliqué à l’image via le mouvement puis le son, le cinéma a surenchéri dans le spectaculaire. Populaire dès l’origine – contrairement à la photographie qui demeura longtemps inaccessible au plus grand nombre – le cinéma étend très vite son hégémonie, affichant sa « supériorité » prétendue sur l’image fixe. Pour autant, il n’a pu se départir du rôle essentiel joué par le médium photographique dans son succès commercial. Photos promotionnelles dans le hall des salles obscures et photos de plateau dévoilant les coulisses d’un tournage sont autant d’images censées informer et inciter le public à devenir une clientèle. Ainsi le cinéma se retrouve–t-il paradoxalement sous la dépendance de l’image fixe et de récits photographiques ordonnés dans des revues ou placardés aux murs.
Le cinéma n’a jamais fini de payer sa dette à la photographie. Il en est l’émanation et croyant s’affranchir de la pauvreté de l’image fixe, il la regarde comme l’origine, une antiquité qu’on ne peut jeter mais que l’on a remisée au grenier. La photographie nuirait au cinéma. Le photogramme ou la photographie de plateau seraient incapables de rendre compte des effets de montage en se moquant du temps filmique. Eisenstein comparait les « belles » photographies de film « à un fatras décousu de jolies phrases
» ! Faut-il rappeler que ces deux médiums ont partagé et partagent encore des supports et des modes de diffusion communs. Même s’il a cru s’émanciper de la simplicité de l’objet photographique, il faut bien que le cinéma en convienne, il ne peut s’en passer. Objet promotionnel, en amont du film ou à sa sortie, à tous les moments de la vie d’un long métrage, la photographie assure l’existence du cinéma. Elle l’accompagne, lui donne sa cohérence médiatique et l’établit en l’inscrivant, par la photogravure et l’impression dans l’univers du magazine et du livre.
Les relations, certains parlent de friction, que les deux média entretiennent ont pris un caractère original et complémentaire à la fin des années 1920, grâce à la propagation de l’héliographie. Les maisons d’édition, mais aussi les producteurs de cinéma, ont vu dans la création de revues spécialisées la possibilité d’assurer le lancement et la publicité du film. En sens inverse, le caractère inédit de la narration cinématographique a largement participé à la réinvention de la photographie et du magazine à la fin de la Première Guerre mondiale.
En fin de compte, ces deux moments de l’image mécanique révèlent des significations complémentaires et procurent des plaisirs d’ordres différents.
Il nous faut désormais penser l’image arrêtée sur le cinéma, non plus comme une simple illustration promotionnelle, mais comme une distance, un « trop », qui révélerait ce qu’on ne voit pas sur l’écran.
Commissariat : François Cheval
Recherche documentaire : Emilie Bernard, Marie-Odile Géron
Scénographie : Christelle Rochette